
Deux saisons de suite, on monte ce chef-d’œuvre de Ferenc Molnár. La belle idée, même si on aimerait découvrir d’autres pièces de ce hongrois somme toute peu connu du public français. L’an passé la Colline présentait la version Galin Stoev. À présent le TGP de Saint-Denis inaugure la nouvelle direction de Jean Bellorini par cette mise en scène, reprise après le Printemps des Comédiens à Montpellier.
Bellorini revendique un théâtre du présent : « Du choc fusionnel entre le fond et la forme jaillit la poésie. L’espace d’un instant. Ici et maintenant. L’art du présent, l’art du sensible, l’art de l’éphémère. »
Il ajoute que le théâtre doit être une fête. Il dit des mots simples qui vont à l’évidence d’une pratique, d’une vision poétique. Vers une rencontre de l’art avec le public.Son Liliom est une fête totale, magistrale. Une fête foraine, d’abord, puisque c’est le décor de l’action. La scène est occupée par un parc d’autos tamponneuses, espace ludique et dangereux. Au loin, une immense roue de lumière, brillante comme des étoiles. À jardin, un salon de musique, piano et harpe, sur le toit duquel trône une batterie et son batteur, Hugo Sablic. À cour, une caravane, maison de fortune d’une photographe pittoresque, le savoureux Jacques Hadjaje.
Liliom (Julien Bouanich), le bonimenteur, règne en maître sur cette foire. Il fait chavirer les cœurs des jeunes (et des moins jeunes) femmes. Il tourne en rond dans ce manège jusqu’à sa rencontre avec Julie (Clara Mayer), une jeune bonne en quête de sensations. Dès lors l’amour s’impose à lui, mais aussi le début des ennuis, le chômage, la misère et tout ce qui s’ensuit. Et puis l’espoir fou, celui de l’enfant qui va naître et à qui on va offrir une autre vie…
On le voit, rien de plus simple. On pense à Horváth et à son Casimir, sa Caroline, Molnár ne complique pas son écriture, il raconte une histoire, il va au cœur des êtres et tout est dit. Et en même temps c’est une fable, on bascule à la fin dans le surnaturel. Liliom meurt et Molnár nous dévoile un autre monde, plus céleste, plus irréel. C’est l’histoire d’une vie, certes, mais on est au théâtre. Ce n’est pas que simple, on est aussi dans la métaphore. Et Jean Bellorini nous donne des images, de la musique, des dialogues, du jeu.
Le plaisir – et même la jouissance – de ce spectacle vous prend dès le début et ne vous lâche plus. La troupe mène à un train d’enfer la narration du conte, elle se joue de toutes les situations, même les plus improbables. L’espace éclate pour s’intégrer à l’action. C’est diablement intelligent, car cela touche encore une fois à l’évidence. Ce sont bien des hommes et des femmes qui sont face à nous. Ils nous entraînent dans leur course mouvementée, généreusement, passionnément, définitivement. On est comme au cirque, on rit, on pleure, on est joyeux, touché, ému, quoi !
Le couple formé des amoureux, formé par Clara Mayet et Julien Bouanich emporte l’adhésion, tant il est véritable dans son engagement. Clara Mayet donne à Julie sa mine boudeuse, ses allures butées, et si délicates. Julien Bouanich, en petit frère de Baal, est bien cet ange noir, qui peut-être obtiendra son salut. Mais tout le monde est à l’unisson, comme un orchestre bien accordé sous la baguette magique de leur chef.
Le bonheur au théâtre, c’est pas tous les soirs. À Saint-Denis, si.
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