

Il n’en revient toujours pas. Un premier roman envoyé au Seuil et le voici sur les tables des libraires. Avec En caisse, il rejoint ses jeunes aînées florentines, Camille de Peretti et Alma Brami, entre autres, qui sont déjà passées à l’écriture.
« J’ai toujours écrit, pour moi, le théâtre, le jeu et l’écriture sont intimement liés. Une camarade du Cours Florent, Carole Cailloux, lisait les chroniques que j’écrivais et elle m’a encouragé. Elle les a envoyées à l’éditeur. Cela leur a plu. Louis Gardel m’a demandé de développer le sujet, de retravailler le style, et voilà ! C’est un coup de poing que le destin vous donne d’être édité dans une jolie maison. Mais cela ne me monte pas à la tête, certainement pas ! Je suis juste satisfait que mes premiers lecteurs, mes proches, aient des réactions positives.»
Il est trop pudique pour l’avouer, mais il y a beaucoup de Raphaël dans ce roman. Un été, dans son petit appartement, il s’est imaginé être dans une guérite de péage d’autoroute. Un narrateur arrêté qui regarde défiler des voitures. Un poste fixe pour observer le mouvement, des moments d’abandon aussi pour rêver, pour se souvenir. Il vagabonde dans un passé immobile, tellement présent qu’il lui saute à la figure.
Raphaël Grillo ne nomme pas son héros, mais on sait qu’il lui ressemble. La mort du père, le périple en Italie, la terre de ses origines, ce n’est pas le hasard, cela fait partie de son histoire intime. Tout comme les jolis mots inventés pour nommer ses personnages : ma copilote-mon-amour, qui l’accompagne sur les routes d’Espagne, Maman-l’enfant, discrète et présente… Il aime les mots, les phrases sont allègres, rapides, fulgurantes.
« Mon style vient aussi du théâtre, j’aime la punchline, comme dans le rap. Et puis jouer avec les mots. Je me souviens que Véronique Vella, ma prof de 3ème année à Florent, nous a beaucoup sensibilisé à cela. Pour corriger les épreuves, j’ai demandé à deux camarades, Laurie Catrix et Cyril Manetta, de lire mon texte à haute voix et de souligner ce qui passait mal à l’oral. J’ai beaucoup retravaillé à l’écoute. D’ailleurs, il est question que ce texte soit adapté pour la scène, j’en serais très heureux. »
En attendant prenez la main que Raphaël vous tend et partez en voyage avec lui. Il continue sa carrière d’acteur, notamment avec ses amis fidèles qu’il a rencontrés pendant ses études à Florent. Il se laisse du temps pour le deuxième livre, en notant des idées par-ci par-là. Il est question qu’il enseigne un jour, il en a le désir, il y pense, mais ceci est une autre histoire.
FXH

Heureuse idée de faire entendre aujourd’hui le texte de Marcel Aymé. Il n’a rien perdu de son soufre. Créé en 1952, à l’Atelier, par André Barsacq, grand découvreur de talents, La Tête des autres, brûlot contre la peine de mort et critique véhémente d’une certaine justice, déclencha un joli scandale, doublé d’un grand succès. Et curieusement un silence de soixante ans…
Comme Alfred Jarry qui situe son Ubu dans une Pologne irréelle, Aymé choisit la Poldavie, par conséquent nulle part, pour mieux se déchaîner sur ce qu’il condamne, pour se sentir plus libre dans ses attaques mordantes. Il y parvient et les dialogues sont juteux à souhait, l’intrigue admirablement conduite avec nervosité et la construction admirable : un canevas de boulevard mâtiné de drame bourgeois et saupoudré de fantastique. Que demander de plus ? Juste une question : pourquoi laisse-t-on Marcel Aymé dans les placards ?
Le procureur Maillard (savoureux Nicolas Lormeau) revient chez lui et fête son triomphe avec son confrère Bertolier (Alain Lenglet impeccable et raide). Il a obtenu au tribunal la tête d’un musicien de jazz, Valorin, assassin présumé d’une vieille dame. Or, ce dernier fait irruption dans la pièce pour clamer son innocence et révéler des vérités compromettantes pour l’honneur de son justicier…
Lilo Baur, après avoir monté avec succès au Vieux-Colombier Le Mariage de Gogol avec les Comédiens-Français, revient sur les lieux de son crime. Elle offre à la pièce un écrin idéal, un décor de film noir des années 50 à l’américaine. La musique, très jazzy, pour évoquer le métier de Valorin, souligne les moments forts avec esprit. Les comédiens présentent une galerie de personnages tout droit sortis de cet univers. Ils nous font jouer aux ressemblances. Le héros malchanceux, le dit Valorin, dont on va couper la tête, c’est Laurent Lafitte. Il trouve ici son premier grand rôle dans la troupe et il est là où l’attend, dans l’excellence de ses moyens. Il évoque les Cary Grant ou James Stewart avec une belle évidence.
Dans de telles histoires, il faut un affreux, un méchant, un monstre. C’est Serge Bagdassarian qui s’y colle avec volupté et il fait penser au Lee J. Cobb des grands jours.
Et puis Marcel Aymé a particulièrement soigné son duo de dames, les épouses contrastées des deux procureurs. La première, Juliette Maillard, est la femme-mère, stéréotype de la bourgeoise de l’après-guerre. Véronique Vella, toute en retenue et en abandon mêlés, se meut allègrement avec le talent d’une Claudette Colbert. La seconde, Roberte Bertolier, ou la femme-putain, est plus fatale. C’est elle qui ajoute du piment à l’intrigue, c’est elle par qui le scandale peut arriver, c’est elle qui enfièvre les passions mâles et pousse ses victimes à la déraison en risquant sa propre chute. Elle, c’est Florence Viala, réincarnation parfaite de Lana Turner, qui trimballe sa langueur en scène avec une élégance de panthère.
Allez découvrir Marcel Aymé, venez écouter la parole vivace de cet écrivain de génie nous raconter que les vices des hommes survivent – mais oui ! – et, même si la peine de mort a disparu en France depuis longtemps, la fable de La Tête des autres résonne encore… et terriblement !
FXH
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