C’est avec plaisir que j’interviens sur cette page pour la première fois. Et si j’interviens ce n’est sûrement pas pour donner un avis nouveau sur un sujet d’actualité mais simplement (si l’on peut dire) en tant que libraire. Libraire de théâtre, s’entend.
Ce que j’aimerais parvenir à faire, c’est partager ce qui fait l’agrément de mon travail : être entouré par les textes, avoir accès à ce qui s’écrit, s’invente et se pense concernant le théâtre. Le Cours Florent forme des comédiens depuis des années, le Coupe-Papier propose des textes dramatiques depuis des années, il était finalement normal que l’on s’accorde un jour sur un travail commun.
Ma volonté est de présenter ici ce que l’on peut appeler à la suite de Jean-Pierre Ryngaert les théâtres du xxie siècle. Un peu pompeux dit comme ça mais il s’agit de donner place pour que vous y donniez voix aux auteurs et aux écritures contemporaines. L’édition théâtrale est très vivante en France, elle offre une ressource immense de textes et constitue une mémoire importante de ce qu’est le théâtre. Parce que le théâtre, bien que l’on puisse en discuter longtemps, est toujours ce lieu où se racontent les histoires. Mais si l’on en discute, c’est bien parce que raconter des histoires n’est pas quelque chose de formel, de formaté ou d’immuable. Il y a mille façons de le faire.
Le dialogue, la double énonciation, ce qui a construit le théâtre classique donc, s’est transformé au cours des années 70. Avant ça, le théâtre « épique » de Brecht déconstruisait déjà les formes classiques : la notion de personnage se modifiait, le travail du comédien avec lui. En effet, s’il n’y a plus ni personnage ni dialogue et que demeure le comédien, quel doit être son jeu ? Quel est son rôle quant au texte ?
Il me semble que la façon de raconter implique une façon de jouer, que « lire du théâtre » c’est « lire une façon de l’interpréter ». Que la question : « Que faire et comment faire face à un tel texte, avec un tel texte ? », est une question qui peut vous être utile et qu’à ce titre connaître de nouvelles formes, de nouveaux auteurs ou d’autres moins nouveaux mais désormais confidentiels l’est aussi.
Aujourd’hui, je me contenterai de vous conseiller l’ouvrage de Julie Sermon et Jean-Pierre Ryngaert : Théâtres du xxi e siècle, commencements*, dont l’objet est justement de présenter les « fabriques d’écritures » contemporaines, celles qui mènent aux écrivains de plateaux, les Rodrigo Garcia ou Angélica Liddell par exemple, mais qui exposent aussi les mutations précédentes du texte, l’écriture par fragments ou l’usage scénique des didascalies par le comédien même. Tout ça sans oublier que ces textes ont pour but le plateau et que leur renouvellement est donc lié à celui des formes de l’interprétation.
La rencontre d’un comédien et d’un texte, donc d’un écrivain, est à mes yeux essentielle. Il est évident que certains classiques conservent une actualité flagrante, mais il est tout aussi évident que la tâche du comédien ou du metteur en scène est de donner voix aux vivants. Je me mouille peu, quelqu’un d’éminent déclarait il y a trente ans, après avoir monté Combat de nègre et de chiens : « Jusqu’à ma rencontre avec lui, je croyais que le théâtre ne pouvait pas raconter le monde actuel. Je me trompais (…). Pour moi, c’était un auteur qui avait un immense avantage, le principal même : c’était un auteur vivant. »
Essayons ici de donner voix aussi aux vivants, ceux qui seront (peut-être) les classiques de demain.
http://www.librairie-lecoupepapier.com/
*Julie Sermon & Jean-Pierre Ryngaert, « Théâtres du xxie siècle, commencements », Armand Colin,
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