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Héros et anti-héros

Au moment où Christian Croset attaque son travail sur « l’étoffe des héros », l’actualité théâtrale semble donner raison à son choix. Deux scènes de la périphérie parisienne accueillent sur leurs plateaux deux mythes conséquents.

L’un est Macbeth au Théâtre Nanterre-Amandiers. Une mise en scène au scalpel de Laurent Pelly, la mise au jour sombre de la violence, l’illustration des mouvements corrompus du sieur écossais et de sa belle, magistralement interprétés par Thierry Hancisse et Marie-Sophie Ferdane.

L’autre est Hannibal au Théâtre 2 Gennevilliers dans une lecture par trop académique de Bernard Sobel. Le spectacle ne rend pas justice à ce maudit de Grabbe, ou alors c’est ce satané Grabbe (et son traducteur) qui ne parvient pas à nous intéresser. Les acteurs, Jacques Bonnaffé en tête, peinent à trouver le souffle et le mordant ou s’encombrent d’un style incertain. Shakespeare sort gagnant de la comparaison. Dans la lande bourbeuse et les châteaux glacés, on avance à grandes enjambées, dans une allure martiale propre à écraser impitoyablement le destin des héros.

Avec Le Soldat ventre-creux, de Hanokh Levin, joué au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie, on passe dans le camp des anti-héros. On n’est plus chez les grands de ce monde. L’auteur revisite la figure de Sosie, après Plaute et Molière, mais dans un registre tragique. Quand un soldat revient de guerre il a simplement eu d’la veine et puis voilà… nous dit la chanson. Pas le nôtre. Il retrouve sa maison, mais elle est occupée par un autre… Sosie ! au ventre plein, lui qui a le ventre creux. Sa femme, son fils le considèrent comme un étranger, celui qui dérange. Ses voisins, devenus aveugles et muets, ne le reconnaissent pas. Et voici qu’arrive le Soldat ventre-à-terre, revendiquant lui aussi l’identité de Sosie…

Soldat ventre creux

La guerre, éternelle histoire des hommes, révèle les héros et les anti-héros. Elle éclaire la cruauté et l’humiliation de notre condition. La domination d’un Sosie sur l’autre et voici une nouvelle guerre qui recommence, plus intime, ou plus domestique, mais qui n’en est pas moins douloureuse. Levin propose une fable politique, inspiré par le conflit israëlo-palestinien,  sur la domination de l’homme par l’homme. Il décrit avec talent l’égarement de ceux qui reviennent du front, qui pourraient être aussi ceux qui reviennent des camps de déportation ou de réfugiés. Tour à tour, les actions farcesques et macabres, les interrogations existentielles sur le sens de la vie occupent le terrain consciencieusement labouré par Véronique Widock.  « Cette histoire est celle de toutes les guerres, écrit-elle, mais sous la plume de Levin, l’humanité refuse de se soumettre. Et le Soldat ventre-creux, doué d’une incroyable aptitude à l’espoir, repoussant les limites du possible, fait preuve d’un incroyable appétit de vivre. » Dans le rôle, Stéphane Facco montre une fois encore qu’il est un acteur hors pair. Il fait très bien passer les interrogations de l’auteur sur le doute, la folie, l’approche de la mort. Avec lui on se demande où trouver une issue dans ce monde. Il réunit toutes les facettes de son art et en devient touchant et… héroïque.

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