Seuls, mise en scène, texte et interprétation de Wajdi Mouawad au Théâtre National de Chaillot.
« On pense que l’instant présent, notre vie de maintenant, est un brouillon est qu’ensuite viendra le propre. Je crois qu’on se trompe, le brouillon, c’est le propre.» Harwan
Utile de vous dire que ca grouillait dans la salle Jean Vilar du Théâtre National de Chaillot. Au Québec, on dirait : «Y’a une tempête de neige qui se prépare certain… Le monde est fou!» C’est la fébrilité, le vent d’un instant. Il fait chaud, c’est le confort de la cheminée, l’attente de se faire raconter.
Des étoiles filantes de Beyrouth, jusqu’au froid glacial de Montréal en passant par Saint-Pétersbourg, Wajdi Mouawad incarne Harwan, étudiant au doctorat en sociologie de l’imaginaire qui prépare une thèse ayant pour sujet les solos dans le théâtre de Robert Lepage.
Harwan entre en scène, vêtu d’un caleçon. Ça pourrait être n’importe qui, n’importe quel trentenaire, seul dans son appartement, qui s’acharne à trouver une conclusion à son mémoire. Le plateau se résume en un lit, une fenêtre et un téléphone qui sonne sans cesse, un vieux téléphone à roulette comme une connexion particulière avec le monde extérieur. Séparation amoureuse, mort subite du directeur de thèse, coma du père, Harwan traverse les épreuves sans éclats, dans une banalité renversante. Dans une longue discussion au chevet de son père, il redécouvre sa langue maternelle, l’arabe. Il se souvient des odeurs du Liban, du jardin, de sa mallette de peinture, du ciel bleu, mais pas de la guerre. Dans sa soif des mots, le temps passe comme un long poème, une réflexion continue sur la famille, les souvenirs précieux, mais aussi ceux qu’on voudrait oublier pour mieux avancer. Il dit à son père, dans une sincérité électrique : «Qu’est-ce que je serais devenu aujourd’hui si j’étais resté au Liban avec toi papa, et toi que serais-tu devenu, j’ai l’impression que tu aurais été heureux, on n’aurait pas connu les hivers et tu aurais arrêté de nous accuser d’être la cause de ton exil, peut-être que si on s’était parlé…»
C’est lorsqu’on croit avoir saisi l’essentiel, que le génie de Wajdi Mouawad nous attend dans un renversement de situation dont on ne sort pas indemne. Le tragique se révèle. On retient son souffle. Ça explose et c’est parti, ça secoue et ça vit.
Pour en savoir davantage, le texte Seuls est disponible chez Léméac/Actes Sud Papiers, il a été publié en 2008. Je vous suggère aussi de lire et découvrir la pièce Forêts, publiée en 2006.
Pour comprendre les références faites à Robert Lepage, découvrir son film La face cachée de la lune, produit en 2003 et aller voir sa prochaine création à L’Odéon, Jeux de cartes 1 : Pique, du 19 mars au 14 avril 2013.
Ève Saint-Louis
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