Le Blog du Cours Florent

Théâtre

Tristesse animal noir, de Anja Hilling L’enfer dans la forêt

Décidemment La Colline réussit à merveille sa saison d’hiver. Après La nuit tombe de Guillaume Vincent, « délocalisée » aux Bouffes du Nord, Stanislas Nordey, avec une grande intelligence, met en scène au Grand Théâtre une pièce majeure de l’auteure allemande.

Tristesse animal noir se déroule en trois parties distinctes dans le temps et l’écriture. D’abord, on assiste à un pique-nique dans une forêt verte et touffue, organisé par des bobos, une petite bande de gens guère passionnants, mais qui sont le reflet de ce que nous sommes, c’est « la fête ». Un incendie survient ensuite et ravage tout : les arbres, les animaux, les hommes. Un bébé meurt, c’est « le feu ». Enfin le groupe rescapé subit les affres brutales de l’après-catastrophe, rejeté sans pitié dans un autre monde, celui de la solitude et de l’angoisse et c’est « la ville ».

On assiste bien à un incendie de forêt, et livré sous forme de récit. L’écriture suggestive d’Anja Hilling, traduite par Silvia Berutti-Ronelt, évoque la tragédie. Théramène raconte la mort d’Hippolyte. Ici Miranda raconte celle de son bébé. Lamya Regragui s’abandonne avec dignité dans des accents qui cognent au cœur.

La description de l’horreur passe par la puissance d’évocation du récit, la force de l’émotion de l’acteur sollicite l’imaginaire du spectateur. C’est l’éternelle variation du sacrifice d’Iphigénie. L’enfant sacrifié représente la quintessence de l’horreur. Comment survivre à la perte d’un enfant ? Comme Wajdi Mouawad, qui reprend Sophocle, Anja Hilling ose aller au plus profond de nos peurs. L’effet doit être cathartique, nous sommes en plein dans la catharsis aristotélicienne. Ainsi s’exprime Stanislas Nordey qui signe une de ses meilleures mises en scène.

Il place, comme il aime le faire souvent, ses acteurs en oratorio, ce qui s’avère ici très judicieux et frappant. La parole exprimée dans les divers codes d’écriture, selon les parties de la pièce, touchent de plein fouet les spectateurs. Tour à tour, chaque acteur, chaque rôle, se développe et prend forme en inscrivant son histoire intime, mais aussi sociale dans des phrases, dans des mots percutants et lapidaires. La troupe est éblouissante de densité. Vincent Dissez, Valérie Dréville, Thomas Gonzalez, Frédéric Leidgens, Lamya Regragui (déjà citée) et Laurent Sauvage forment ce chœur moderne de personnes ordinaires confrontées subitement au destin qui bouleversera leurs pauvres petites vies. Ils sont rejoints par Moanda Daddy Kamono et Julie Moreau, acteurs-spectateurs du drame.

Tout aussi inattendue est la scénographie d’Emmanuel Clolus. Comment représenter sur le plateau un incendie de forêt ? La solution trouvée est spectaculaire, étonnante. Je ne vous en dis pas plus.

Encore une fois, au théâtre, il faut se laisser posséder, habiter par la représentation. Il faut accepter le conte qui défile dans nos oreilles et sous nos yeux. On en ressort ému, extasié et lavé. Il y a sur le plateau de La Colline une réunion de talents exceptionnels, allez vite à leur rencontre.

 

FXH

Du 11 janvier 2013 au 02 février 2013

http://www.colline.fr/fr

Loïc Corbery : Dom Juan et moi

À l’automne dernier, Laura Boisaubert, élève de 2ème année chez Isabelle Gardien, et Raphaël Saragosti, élève de 2ème année chez Christian Croset, ont rencontré Loïc Corbery, sociétaire de la Comédie-Française, qui était dans les premières représentations du Dom Juan de Molière, mise en scène par Jean-Pierre Vincent à la Salle Éphémère. Le spectacle ne se joue plus, mais les propos de l’acteur sur la pièce et le rôle restent passionnants et… pérennes. Nous publions aujourd’hui la première partie de cet entretien.

© BOUCHON MARMARA SORIANO / Le Figaro

On a l’habitude de voir le rôle de Dom Juan confié à des acteurs plus âgés. Quelle fut votre réaction à l’annonce de votre nom pour jouer celui-ci ?

J’étais surpris quand Jean-Pierre (Vincent, le metteur en scène) m’a proposé de jouer Dom Juan, car c’est un rôle que l’on confie d’habitude à un acteur plus mûr. Mais j’ai appris par la suite que c’est un rôle qui fut à l’origine créé par Molière pour Lagrange, donc pour un acteur d’une trentaine d’année, l’âge de Lagrange à l’époque. C’était donc revenir un peu aux origines et éviter d’avoir affaire à un acteur qui n’est plus étonné par ce qui lui arrive. La réflexion sur Dom Juan n’est pas la même quand on a trente ans que quand on en a cinquante. Si on a trente ans, on est éprouvé par la chose alors que si on en a cinquante on est censé en avoir vu d’autres avant.

Quel est, pour vous, le trait le plus important du personnage ?

La liberté de penser. Evidemment on a le cliché du séducteur, celui du libertin mais c’est avant tout un libre penseur. C’est un homme en quête d’absolu : d’absolue liberté, d’absolu affranchissement. Il ne veut avoir de compte à rendre à personne, ni à son père, ni aux femmes qu’il a aimées, ni à la société, ni au Ciel. Il y a quelque chose de post-adolescent : « J’ai envie d’être seul au monde. J’ai envie de revendiquer mon libre arbitre, d’être le seul maître de ma vie ». Malheureusement ce n’est pas possible. 

© LES ECHOS
Jouer Dom Juan amène-t-il à une remise en question de ses propres croyances ?

Non. Mais c’est un personnage, un rôle, une pièce qui m’étaient assez étrangers. J’ai une grande connaissance et une passion pour Molière, pour Le Misanthrope, pour Le Tartuffe, mais Dom Juan est une pièce qui ne m’évoquait pas grand chose. Je me suis rendu compte en me plongeant dedans et en travaillant dessus qu’effectivement je n’avais aucune idée de toutes les mines que Molière a placées par-ci par-là dans la bouche de Sganarelle, dans celle de Dom Juan, pour éclater à la face du monde. En revanche c’est toujours assez délicieux quand on est acteur de rentrer dans le lard des autres, du public en l’occurrence et donc du monde. Que ce soit l’hypocrisie ou le discours sur les médecins… Même les discours sur l’amour et la séduction sont jouissifs à faire exploser.

La phrase la plus retenue de la pièce est généralement « L’hypocrisie est un vice à la mode ». Et pour vous, c’est laquelle ?

J’avoue que je suis très intéressé par tous les creux du personnage. L’hypocrisie, la séduction, les scènes avec le père racontent le plein du personnage, mais j’adore tout ce qui est en creux. J’adore les silences, ces mystères qui naissent à chaque rencontre qu’il fait au fur et à mesure de la pièce. Par exemple j’aime énormément l’état dans lequel me laisse la rencontre avec Dom Carlos. Molière lui fait dire à : « Sais-tu bien à qui j’ai sauvé la vie ? Un frère d’Elvire. Il est assez honnête homme. Il en a bien usé et j’ai regret d’avoir démêlé avec lui. » Pourquoi tout à coup la rencontre avec cet homme lui fait dire ça ?

Combien de temps vous faut-il pour vous préparer à jouer Dom Juan ?

Ça se passe sur mon entrée, quand je descends du fond du plateau jusqu’à l’avant-scène… Une dizaine de pas. Chacun de ses pas me rapproche de Dom Juan et quand je suis arrivé, au premier mot, j’y suis.

© DELALANDE RAYMOND / SIPA

À l’écoute, le texte semble presque contemporain. Est-ce important de jouer Dom Juan aujourd’hui ?

Je me rends compte que dans le spectacle que l’on joue ici, aujourd’hui, il y a un écho merveilleux chez les jeunes gens, quelque soit le milieu social et culturel d’où ils viennent. Cette quête de liberté, cette envie de rébellion, de révolte … C’est ça qui est beau, je trouve. De toute façon l’œuvre de Molière est merveilleusement intemporelle parce qu’elle parle des Hommes et que les Hommes, finalement, n’ont pas beaucoup changé en trois cent cinquante ans. Et puis, c’est quand même un hasard, mais on a créé la pièce au moment de ce film qui est sorti et qui tournait le prophète Mahomet en dérision (NDLR : L’Innocence de l’Islam). Cela a engendré des conséquences, des réactions assez violentes. Donc tout à coup balancer un discours sur la religion ce n’est pas rien, ça devient utile. Utile que les gens l’entendent.

La saison dernière on a pu vous admirer dans le rôle de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour. Cela vous a-t-il aidé dans votre travail pour Dom Juan ?

Ah non, Perdican n’est pas un libertin. C’est un jeune homme qui a connu des femmes, qui peut être dans la séduction mais qui brutalement se trouve fracassé par l’amour. Perdican aime Camille mais séduit quand même Rosette qu’il aime aussi quelque part. Oui c’est un séducteur, mais il a vingt et un ans et Camille en a dix-huit. À mon avis les maîtresses de Perdican ne sont pas les conquêtes amoureuses de Dom Juan. Mais il y a une filiation entre les deux personnages. En tout cas moi j’en trouve une. Tout comme avec Lucidor, que j’ai joué dans l’Épreuve de Marivaux l’année dernière mis en scène par Clément Hervieu-Léger. Lucidor et Perdican sont des amoureux. Dom Juan n’en est pas un. Lucidor, Perdican, Dorante du Menteur sont des joueurs. Ils ne savent pas où leur jeu les mène, alors que Dom Juan, lui, sait très bien où il met les pieds. Il est beaucoup plus conscient et réfléchi que les trois autres. Mais il y a un lien, un chemin qui avance entre tous ces personnages et ce n’est pas un hasard pour moi de passer de l’un à l’autre.

Est-ce un rôle proche de vous même ? Vous aura-t-il marqué ?

Non. Là où Perdican et Dorante peuvent l’être, Dom Juan l’est beaucoup moins. J’y trouve en moi des échos assez imprévus c’est certain, comme à chaque fois que je travaille un personnage. J’aimerais bien avoir le courage de Dom Juan et la faculté de révolte, d’insolence qu’il a. Malheureusement je ne l’ai pas. Je suis beaucoup plus englué que lui dans le monde dans lequel je vis.

Propos recueillis par : Laura Boisaubert & Raphaël Saragosti

La nuit tombe, de Guillaume Vincent / Un ticket pour la peur

C’est toujours fascinant l’appétit qu’ont les enfants à vouloir qu’on leur raconte des histoires qui au fond sont absolument sordides. GV.

 

06-20nu007[1]

 

Nowhere. Une chambre d’hôtel, lieu banal s’il en est, de passage, un lieu qu’on loue pour une nuit et qui s’efface de la mémoire. La chambre d’hôtel porte les marques d’un faste et d’un luxe anciens. Cela pourrait se passer dans un vieil hôtel de La Havane, ou quelque part en Europe de l’Est, dans l’ex-URSS ou encore à Shangaï, en Amérique du Sud… ainsi Guillaume Vincent décrit-il son espace scénique. Cet endroit retient-il dans ses murs le souvenir de ceux qui y habitent, comme autant de revenants ou de fantômes ? Dans le beau décor naturel des Bouffes du Nord, cette chambre imaginée par le scénographe, James Brandly, s’inscrit dans son étrangeté et son mystère. Quelques personnes, des couples, une mère et son enfant, deux sœurs, un Wolfgang et une Charlotte… tout se tisse et s’entrecroise sans qu’on cherche à comprendre vraiment ce qui se joue. Cela s’impose naturellement. On est fasciné comme devant un film fantastique.

J’ai écrit cette pièce avec pour seul objectif la scène et les acteurs. Je ne me suis pas inquiété de faire de la littérature, mon objectif n’est pas d’inventer une langue.

Guillaume Vincent fréquente depuis ses débuts les grands textes. Il a monté Virginia Woolf, Jean-Luc Lagarce, Dennis Kelly, Wedekind et autre Marivaux. Ici il met en scène son propre texte, qu’on peut aussi lire aux Éditions Actes Sud et on verra que c’est plutôt bien écrit, qu’on peut le considérer aussi comme un objet littéraire. Le spectacle est très visuel, il fonctionne sur la peur, sur l’effroi, le travail sur le son est étonnant. On sent l’amour pour le cinéma, Hitchcock, bien sûr, pour l’univers cauchemardesque, souvent fantasmé et délirant, mais aussi Stanley Kubrick et David Lynch.

 Je pense malgré ces références presque exclusivement cinématographiques qu’il   s’agit bien en vrai d’un spectacle de théâtre et que j’ai aussi envie d’en exalter ses spécificités. J’aimerais que le décor possède les mêmes atouts magiques que les spectacles d’illusions et de magie de la fin du 19ème siècle. 

Il est vrai qu’il y a du Grand Guignol dans le traitement du spectacle. Les comédiens – tous magnifiques – évoluent dans cet espace de plus en plus anxiogène, de plus en plus angoissant (le son encore une fois alimente cette impression), en jouant presque comme si cela allait de soi.

Il ne servirait à rien que d’essayer de raconter ce spectacle. Il faut y aller les yeux fermés. Guillaume Vincent et ses acteurs vous les dessilleront pour vous embarquer dans leur vaisseau magique.

FXH

Une production de La Colline – théâtre national

au Théâtre des Bouffes du Nord

http://www.bouffesdunord.com/

réservation : 01 44 62 52 25

Commentaires récents

37/39 avenue Jean jaures, 75019 Paris
Tel: 01 40 40 04 44
Site Web: www.coursflorent.fr