Le Blog du Cours Florent

Tokyo Bar

« Un artiste doit mettre sa vie en jeu »

Dimanche après-midi, après la pluie, le Bois de Vincennes a reverdi. Les feuilles sont tendres, déjà gaillardes, les fleurs renaissent et s’offrent au vent qui les fouette au passage. La promenade est belle jusqu’au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie.

Gilbert Désveaux monte Tokyo Bar, une des dernières pièces de Tennessee Williams, celui de la dépression, du désenchantement. Dans un bar d’hôtel à Tokyo, Miriam tente de séduire le barman, tandis que Mark, son mari, peintre new-yorkais d’avant-garde, puise l’inspiration créatrice dans la drogue. Il dérive vers la folie et Miriam veut le réexpédier aux Etats-Unis pour le faire interner. Pour l’aider à accomplir son dessein, elle fait venir Leonard, le marchand d’art qui a lancé Mark. Mais l’état de Mark empire…

Ainsi résumée, la pièce s’écoule dans ce lieu clos, aux lignes droites et au béton froid, certains diraient zen, mais c’est d’un mausolée qu’il s’agit. De la légèreté de la conversation entre la femme et le barman – sorte de jeu de séduction frivole et sexuel – jusqu’aux propos exacerbés qu’échange le couple, dans une dernière chance de sauver ailleurs ce qui se détruit, on assiste à une danse macabre aux pas tangués et flageolants.

Pour Jean-Marie Besset, l’adaptateur de la pièce, « ces deux étrangers loin du pays natal ne sont pas un jeune couple en voyage de noces, mais un couple en exil et au bout du rouleau… Ce qui a dû être entrepris comme un voyage pour re-commencer, une tentative pour changer d’air et de décor, se révèle sous un vrai jour : ce n’était qu’une fuite en avant, condamnée d’entrée de jeu. »

Mark, le peintre, est un portrait fraternel de Tennessee, l’auteur, qui explique dans une note à un metteur en scène en 1969 : « L’oeuvre apparaît en fin de compte comme une tentative impuissante de faire l’amour. A ce stade, il est condamné à mort et, à mesure que la mort approche, il n’a pas le réconfort de ressentir qu’une quelconque part de son oeuvre a eu quelque valeur. » Constat amer, déchirant, pour celui qui a laissé des marques indélébiles sur l’écran et sur la scène. On se souvient des films d’Elia Kazan, Joseph Mankiewicz, Richard Brooks, John Huston… Dans les années 60, Williams est un homme brisé. Son aveu révèle un artiste atteint de vacuité et d’isolement. Alexis Rangheard hérite de ce rôle difficile, toujours sur la brèche, en état de fatigue extrême et pourtant se débattant pour essayer de vivre et d’aimer. Il s’en tire avec les honneurs.

Laurent d’Olce joue la délicate partition de Leonard, le confident et l’ami, pris au piège de ce couple infernal. Il y est très juste dans son hésitation et sa veulerie. Mathieu Lee, le barman japonais, frappe par sa présence et son attention discrète à tout ce qui se passe. Il est un peu comme l’ange de la mort et du désir dans son propre décor. Christine Boisson incarne Miriam, lointaine cousine de Blanche Dubois. Elle y est somptueuse, à la fois sensuelle et intemporelle, dans un art achevé pour mêler élégance et souffrance, trivialité et raffinement. Une manière bien à elle de côtoyer le malheur du bout des doigts et de toute son âme. Elle est dans la lignée de ces actrices anglo-saxonnes qui ont joué Tennessee Williams de son vivant. Une belle leçon de théâtre que cette grande dame nous offre.

FXH

© Photos de répétitions : Marc Ginot

 

Théâtre de la Tempête – http://www.la-tempete.fr/

du 27 avril au 2 juin 2012

du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h

 

 

 

 

 

 

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